DÉMARCHE ARTISTIQUE EMMANUELLE SARROUY & JEAN-PAUL NOGUÈS
« […] certaines images sont un bien précieux inséparable de ce qui construit l’humanité,
car [l’image] est solidaire de la parole et de la pensée. En cela, elles sont le lieu
de construction de l’homme et de son rapport au monde. »
Marie-José Mondzain, Le Commerce des regards, citée par Marie-Françoise Grange in L’autoportrait en cinéma.
C’est une histoire d’Idée en marche, de danse et de résistances… C’est une histoire d’incarnation et d’exaltation. Du corps, des mots, du rythme, des lumières éclairantes, des lumières enveloppantes. Projections incandescentes dé(toiles)filantes… « Suppléments d’âmes » est une œuvre qui de façon très contemporaine allie plusieurs disciplines artistiques : la poésie, la danse et l’art vidéo.
C’est d’abord un texte évoquant comment un corps peut porter et revendiquer une idée et la sublimer. Ensuite, c’est par la danse que cette idée est incarnée : dans la pénombre, une danseuse se dévoile, traversée par le faisceau lumineux de la projection vidéo d’images sur son corps. Des tracés de lumières colorées virevoltent pour dessiner sa silhouette en mouvement, et créer une vision poétique et magique. Les mots, les images et la danseuse, dans une osmose sans cesse renouvelée, rythment l’espace où ils nous ont convié en un poème tourbillon incantatoire. Exposer, projeter, c’est mettre en avant, jeter avec force au devant de soi. Mettre en action, en mouvement dans un espace/temps qui devient « autre » et permet par sa transformation d’ « envisager autrement ». Le corps/portrait et ses multiples facettes, comme une performance de nos miroirs intimes pour dire le monde autrement.
Il y a ce film-genèse qui nous a accompagnés tout au long du processus de création. La petite femme nue dessinée et filmée par Berthold Bartosch se glisse dans l’enveloppe et s’en va défendre les causes perdues. L’idée -la bien nommée- prend son envol, se diffuse, se multiplie, s’étoile, s’émancipe et rien, pas même les plus sombres parts de nous-mêmes et de notre histoire, ne pourra l’arrêter.
Il y a cette idée que nous poursuivons, chacun à notre manière, de creuser, chercher dans le mouvement, les corps, la matière et la lumière notre part d’humanité, cette humanité sans cesse insaisissable car toujours en perpétuel devenir et paradoxalement prégnante, résistante, persistante, brillante… Fulgurante. Suivre la danseuse étoile filante dans la fluidité colorée d’un chant évanescent. Tenter de comprendre (au sens de prendre avec). Travailler le corps/portrait dans le mouvement et l’immobilité, dans la présence immanente, l’apparition et la disparition, dans le geste, dans le raccord éphémère, les éclats de textes et de lumières, dans la relation du texte à l’image et de l’image au texte, dans la fulgurance de l’idée. Portée aux nues, amoureusement. Car il s’agit toujours d’un élan, d’une pulsion, un chant vital porté par les vibrations, les ondes et le souffle musical. Une étincelle magique s’empare des gestes et des regards et nous entraine dans une danse qui porte la mémoire des hommes et leur devenir. Entre le mot, le geste, la projection lumineuse bouillonnent des courants d’amour. Le flux poétique nous embarque et nous invite à sonder l’âme humaine pour mieux défendre une certaine idée du monde… Avec, à l’instar des animaux-totems de Nicolas Bouvier, pour parrains et pour marraines les oiseaux et les sirènes.
Emmanuelle Sarrouy et Jean-Paul Noguès – Marseille, juin 2015